12- Le simurgh
Avant de commencer l'histoire de Gérard Pinson, Isidore Patakès se mit à évoquer l'atmosphère et le contexte qui cadraient ses souvenirs. Et je crois aussi qu'il est juste d'en faire part ici. Il disait lui même se sentir profondément nostalgique. Au temps où il fréquentait obligatoirement la communale, il lui arrivait de se livrer aux délices de la contemplation. Il était, en quelque sorte, déjà nostalgique par anticipation. Il construisait sa nostalgie future, établissant les minutieux repérages de ses souvenirs; des odeurs, des saveurs mentales, des lumières et des sonorités multiples. Le charme désuet de l'univers scolaire de cette période y concourait sans doute.
Rien ne semblait alors pouvoir se produire dans ce monde clos. L'instituteur régnait souvent en despote. Les moindres chuchotements, rictus ou tentatives de subversions par les grimaces étaient aussitôt réprimés avec poigne. Un esprit sain dans un corps sain. Et les corps des élèves semblaient bien manquer souvent de santé. Heureusement de jours les relations sont plus aseptisées. Les têtes ne sont plus frappées avec l'angle de règles métalliques, fini les génuflexions contraintes par la torsion d'une oreille, oubliées toutes ces affreuses punitions corporelles.
Mais cette discipline, ces menaces sans cesses présentes, contribuaient probablement à la monotonie de l'ambiance, procurant ces illusions de calme, de répétition et de lenteur. Sans doute. Isidore Pataquès se disait donc avoir été conforme à l'image des livres qui représentaient un élève studieux, soucieux de maîtriser les règles de la grammaire et les formules d'arithmétique, pendant que son esprit s'évadait, loin, dans des contrées semblables à celles des contes où planait quelque simurgh multicolore. Le simurgh qui relie les différentes dimensions de nos rêves, ceux que nous appelons songes et ceux que nous croyons réels. Mais n'était-ce justement pas à cet oiseau fabuleux que l'on devait, selon les anciens des anciens, l'invention de l'écriture? Bien sûr il était difficile de comprendre comment cela avait finalement conduit, au cours de l'âge d'acier, un certain sergent major à s'investir dans la fabrication de plumes métalliques.
samedi 29 novembre 2008
vendredi 28 novembre 2008
13 - Une arme, des armes
Or, en ce temps là, âge prospère et commercial, aussi grand moment d'éradication de la vie sauvage dans les coins les plus préservés de la biosphère, période aussi appelée plus conventionnellement "guerre froide", les modes culturelles se métamorphosaient lentement. L'annonce de la possibilité, relativement récente alors, d'un big bang nucléaire, promesse de la fin de la vie sur terre, n’avait pas fini de mobiliser une grande partie des préoccupations des esprits, concernant le futur de l'humanité et de la planète.
La Crise de Cuba, en octobre 1962, permit de vivre un moment de tension unique, une promesse de désintégration totale de la vie en un instant lumière.
La relation entre l'histoire de Gérard Pinson, contée par Isidore, et des missiles de Cuba n'est possible peut-être que par association des aspects balistiques. Aspects dont la portée, à première vue sans retentissement, pourrait paraître insignifiante. Isidore ne trouvait pas ces rapprochements anecdotiques. Un jour d'école, il se trouvait, avec d'autres élèves dans une salle de classe au moment d'une récréation. Comme on peut s’en douter, cela était totalement prohibé. Dans cette classe, située au premier étage et où venait d’avoir lieu un de ces cours de dessin si propice au chahut, se trouvaient Isidore et d'autres potaches rebelles. L'un d'entre eux exhiba soudainement une sorte d’arme constituée d’un assemblage de plusieurs objets détournés et qui révélait à première vue les grandes ressources imaginatives et l'ingéniosité de son inventeur. Le petit vantard la fit admirer, prétendant en être l’auteur, pour en annoncer finalement l’efficacité et la précision certaines. Ce flingue avait été conçu pour une propulsion de projectiles de plomb plus efficace que les pistolets distribués dans le cadre légal du commerce. Isidore Pataquès fit la remarque d'usage : "Existe-elle cette arme qui fut crée pour ne jamais servir?".
La Crise de Cuba, en octobre 1962, permit de vivre un moment de tension unique, une promesse de désintégration totale de la vie en un instant lumière.
La relation entre l'histoire de Gérard Pinson, contée par Isidore, et des missiles de Cuba n'est possible peut-être que par association des aspects balistiques. Aspects dont la portée, à première vue sans retentissement, pourrait paraître insignifiante. Isidore ne trouvait pas ces rapprochements anecdotiques. Un jour d'école, il se trouvait, avec d'autres élèves dans une salle de classe au moment d'une récréation. Comme on peut s’en douter, cela était totalement prohibé. Dans cette classe, située au premier étage et où venait d’avoir lieu un de ces cours de dessin si propice au chahut, se trouvaient Isidore et d'autres potaches rebelles. L'un d'entre eux exhiba soudainement une sorte d’arme constituée d’un assemblage de plusieurs objets détournés et qui révélait à première vue les grandes ressources imaginatives et l'ingéniosité de son inventeur. Le petit vantard la fit admirer, prétendant en être l’auteur, pour en annoncer finalement l’efficacité et la précision certaines. Ce flingue avait été conçu pour une propulsion de projectiles de plomb plus efficace que les pistolets distribués dans le cadre légal du commerce. Isidore Pataquès fit la remarque d'usage : "Existe-elle cette arme qui fut crée pour ne jamais servir?".
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