samedi 29 novembre 2008

12- Le simurgh

12- Le simurgh
Avant de commencer l'histoire de Gérard Pinson, Isidore Patakès se mit à évoquer l'atmosphère et le contexte qui cadraient ses souvenirs. Et je crois aussi qu'il est juste d'en faire part ici. Il disait lui même se sentir profondément nostalgique. Au temps où il fréquentait obligatoirement la communale, il lui arrivait de se livrer aux délices de la contemplation. Il était, en quelque sorte, déjà nostalgique par anticipation. Il construisait sa nostalgie future, établissant les minutieux repérages de ses souvenirs; des odeurs, des saveurs mentales, des lumières et des sonorités multiples. Le charme désuet de l'univers scolaire de cette période y concourait sans doute.
Rien ne semblait alors pouvoir se produire dans ce monde clos. L'instituteur régnait souvent en despote. Les moindres chuchotements, rictus ou tentatives de subversions par les grimaces étaient aussitôt réprimés avec poigne. Un esprit sain dans un corps sain. Et les corps des élèves semblaient bien manquer souvent de santé. Heureusement de jours les relations sont plus aseptisées. Les têtes ne sont plus frappées avec l'angle de règles métalliques, fini les génuflexions contraintes par la torsion d'une oreille, oubliées toutes ces affreuses punitions corporelles.
Mais cette discipline, ces menaces sans cesses présentes, contribuaient probablement à la monotonie de l'ambiance, procurant ces illusions de calme, de répétition et de lenteur. Sans doute. Isidore Pataquès se disait donc avoir été conforme à l'image des livres qui représentaient un élève studieux, soucieux de maîtriser les règles de la grammaire et les formules d'arithmétique, pendant que son esprit s'évadait, loin, dans des contrées semblables à celles des contes où planait quelque simurgh multicolore. Le simurgh qui relie les différentes dimensions de nos rêves, ceux que nous appelons songes et ceux que nous croyons réels. Mais n'était-ce justement pas à cet oiseau fabuleux que l'on devait, selon les anciens des anciens, l'invention de l'écriture? Bien sûr il était difficile de comprendre comment cela avait finalement conduit, au cours de l'âge d'acier, un certain sergent major à s'investir dans la fabrication de plumes métalliques.

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