jeudi 1 janvier 2009

00-Argument liminaire

Or donc, gentil (mais rare) lecteur voici la reprise du modeste récit feuilletonesque écrit auparavant pour un blog que le Monde électronique a cessé d'héberger.
Plus d'abonnement, plus de blog.
L'eau des fleuves s'est écoulée abondamment et toutes les rivières des pensées d'Isidore Pataquès ont aussi retrouvées depuis longtemps l'océan de l'esprit dont les vivants partagent le vide. Mais pour la forme que doit prendre cette "étrange histoire", le narrateur s'égare dans les méandres des incertitudes.

lundi 29 décembre 2008

01-L’invention du réel

Ne comprenons-nous du monde que la vision fictive de la réalité qui dépend de nos sens, des flux émotionnels dont nous tentons d’élaborer une justification rationnelle? Une analyse empirique sur des hypothèses sceptiques ou crédules que les déceptions et les souffrances alimentent sans cesse nous aide-t-elle à vivre? Sommes nous en quête d'un sens à travers l'expérience merveilleuse et cruelle de la vie, ou devrions nous nous contenter, éblouis par le monde, pour s'anesthésier du sentiment de notre nature périssable, de divertissements aux sensations plus ou moins payantes? Ces questions préoccupaient de façon croissante Charles-Isidore. Il ne trouvait plus de repos et s'abîmait donc dans une introspection improductive que son entourage ne tarda pas à qualifier de paresse schizoïde.

dimanche 28 décembre 2008

02-L'apparition


Isidore possédait la conviction ferme que la découverte du récit intime de ses origines lui permettrait de comprendre le monde et même plus. Le principal obstacle était formé par la paroi obscure qui s'élevait dans sa conscience quand il tentait de contempler sa mémoire infidèle. En effet il ne possédait aucun souvenir clair sur ce qu'il avait vécu avant l'âge de deux ans.
C'était l'hiver. Dehors, un ciel dur et glacé d'une splendeur limpide. Isidore était calé contre la paroi de la cheminée. En contemplant le feu de bois, il eu l'impression de distinguer une tête de cheval en feu. Une tête de cheval sculptée par le feu. Comme un cheval de bois à bascule. La révélation par l'apparition. Voilà la méthode, se dit-il.

samedi 27 décembre 2008

03-Mystères sur origines


Au sujet de ses deux premières années d'inconnaissance, cette ombre antérieure au fleuve mémoire, il n'eût de révélations que vers l'âge de huit ans. C'est alors qu'il sût ne pas être le véritable fruit de l'union des Pataquès. Il n'était pas certain alors de bien saisir le sens de l'expression même. Pouvoir s'imaginer en fruit ne facilite pas la construction d'un soi. Que ce fruit résulte d'une union entre deux humains sans pousser sur arbre pouvait devenir franchement comique dans l'esprit d'un enfant, au temps ou sur le sexe rien n'était dit. Il apprit donc que la vérité de son histoire, saveur de son identité, pouvait s'imaginer autre désormais.

vendredi 26 décembre 2008

04-Un abandon ordinaire



Dans le monde la paix n'existe guère. Les conflits que les hommes se livrent rendent toujours la survie des pauvres gens difficile. Et dans des circonstances troubles qui restèrent, pour lui, longtemps inexpliquées, la mère d'Isidore, dont il ne conservait aucun souvenir, serait tombée alors dans le plus grand dénuement. Souhaitant préserver son enfant, elle l'aurait confié à une parente.
Celle-ci, déjà très occupée par sa propre marmaille turbulente, aurait ensuite demandé à son médecin de bien vouloir le garder quelques temps. En attendant que la mère revienne, peut-être. Peut-être. Mais il semble qu'elle ne revînt jamais, ou bien qu'il n'en sût rien.

jeudi 25 décembre 2008

05-L'instant


Le Médecin chargea alors une bienfaitrice de la paroisse de s'en occuper un peu. Cette compatissante dévote trouva rapidement pour l'enfant un foyer provisoire. Une famille d'accueil comme on dit de nos jours. Jeanne et Antoine Pataquès.
La bonne du médecin arriva à neuf heures quinze chez les Pataquès. Ceux-ci offrirent immédiatement à l'enfant un nid d'affection. Antoine Pataquès, admirateur de Victor Hugo, savait que les instants essentiels ne sont pas nécessairement les plus sublimes. C'est sans doute pourquoi il conserva le souvenir du moment, par un rituel quotidien, un petit geste gratuit. À neuf heure quinze chaque matin, il ouvrait la porte de sa demeure pour savourer l'instant.

mercredi 24 décembre 2008

06-Le tambour


Les enfants trouvés sans noms furent autrefois légions. Les hospices en recueillaient parfois plusieurs chaque jour installés au creux du ventre de bois d'un tambour. Le tambour, qui s'ouvre sur la rue est ouvert d'un côté. On y glisse un enfant dont on ne veut plus ou, plus souvent dont on ne peut pas aisément prendre soin. Il est recueilli de l'autre côté par une main secourable. Des milliers d'enfants chaque année à Paris et sans doute autant ailleurs. Des mères, innombrables, par dénuement ou issues d'une famille qui ne tolère de mésalliance, y ont placé ainsi l'être qu'elles avaient engendré. Combien de filles grosses des œuvres de nos ancêtres se séparèrent dans des conditions semblables d'autres nombreux ancêtres, qui engendrèrent à leur tour d'autres ancêtres... Nous serions donc ainsi, probablement, tous, n'en déplaise aux vieux Adams, des descendants d'enfants abandonnés.

mardi 23 décembre 2008

07-La transmission du nom



Les époux Pataquès décidèrent d'entreprendre une procédure administrative afin d'établir une filiation en faveur du nouveau venu. Ce n'était pas seulement une volonté de sceller une sorte d'illusoire compensation aux sentiments de frustrations que leur relation infertile promettaient. Un excès de volonté secourable cache parfois une intention trop possessive. Mais non, Il y avait chez eux, avant toute considération, une sorte de référence particulière à une mémoire patronymique. Pas un devoir du souvenir, mais un signe de reconnaissance, une évocation poétique que permettent parfois les registres d'état-civil, à l'égard des ancêtres. Ils souhaitaient transmettre la magie d'un nom. Relier leur acte d'adoption à l'histoire du premier Pataquès. Célébration d'un modeste et charmant rituel?

lundi 22 décembre 2008

08-Le lit des doutes


Le petit Isidore avait donc grandi au centre du foyer des Pataquès. Il jouissait de leur bienveillante sollicitude mais restait dans l'ignorance de ses origines effectives.
Puis, quand il eût une douzaine d'année, une démarche administrative, concernant la régularisation de son état civil, incita Antoine Pataquès à se lancer dans un récit maladroit pour expliquer comment il était devenu son père adoptif. Le monde ne s'écroula point, il changea de point de vue. On lui avait donc menti.
La zone obscure que représentait dans son esprit les mots mère, mater, mother, ama, mama, devenait désormais une intrigue. Il fut aussi, dès lors, visité régulièrement par une vision, le rêve d'une femme revêtue d'une étoffe émergeant de sa nuit. Pour figurer, sans doute, le sens de cette absence de souvenirs intimes du corps de celle où il savait avoir d'abord demeuré.

dimanche 21 décembre 2008

09-Chronos, chronos


9- Quand Isidore Pataquès avait ouvert, "à n'importe qu'elle page", le livre de poche qui reposait, comme oublié dans la remise du bûcher, il n'avait pas l'intention préalable de se mettre à lire. Mais son esprit rencontra une phrase dont la coïncidence avec l'actualité de sa propre situation lui sembla à propos.
" Il ne faut qu'un soir d'hiver, que le vent autour de la maison, qu'un feu clair, pour qu'une âme douloureuse dise à la fois ses souvenirs et ses peines."
Ces mots produisirent en lui une impression qui l'incitait à poursuivre la lecture. Sa rêverie se déplaça donc de son interrogation sur la nature obscure de son miroir maternel vers une spéculation autour des expériences du sentiment de vivre des successions d'événements synchrones.

samedi 20 décembre 2008

10-Tout en l'esprit produit


Une hypothèse assez séduisante sur la simultanéité temporelle de la manifestation s'était répandue avec succès après la deuxième guerre mondiale au sein de certains milieux artistiques non conformistes. Cette interprétation du réel permettait d'évacuer la question d'un créateur, de la responsabilité des acteurs de l'expérience existentielle en y intégrant l'ensemble du vivant dans un signifiant qui dépassait alors les anciens théismes producteurs de cultes et de tyrans ainsi que d'autres tentatives matérialistes figées et plus ou moins utilitaires des phénomènes.
Isidore Pataquès trouvait aussi cette vision du monde beaucoup plus acceptable et intellectuellement confortable que d'autres cosmologies, dont les systèmes rigides reposaient souvent sur des conceptions théoriques et scolaires du temps.
Chaque instant, un soixantième de seconde environ, selon notre notion mesurable de la durée, l'univers se renouvelle, tout se manifeste simultanément.
Isidore tentait de se plonger dans l'instant, chaque instant.
Une plongée sans distraction, d'instant en instant au cœur de l'essentielle expression polymorphe de l'esprit.
Cependant cela n'était pas si simple. Apprivoiser les reptiles des spéculations discursives demande un entraînement qui dure plus d'un instant.

lundi 1 décembre 2008

11-Synchronismes


Quand je le rencontrais pour la première fois il aborda immédiatement le motif principal de ses préoccupations. Les coïncidences synchrones. Il formula plusieurs hypothèses sur les séries de liens que lui évoquaient justement la rencontre des êtres en particulier et des phénomènes en général. Il prétendait que, selon lui, tout devait être parfaitement agencé et que seules notre agitation mentale et nos préoccupations égocentriques nous privaient de la conscience de la beauté des métamorphoses du monde. Sans soutenir cependant la vieille formule qui affirme que tout est "écrit là-haut". Et, pour illustrer son propos, il me conta alors, pour la première fois, l'étonnante histoire de Gérard Pinson.

samedi 29 novembre 2008

12- Le simurgh

12- Le simurgh
Avant de commencer l'histoire de Gérard Pinson, Isidore Patakès se mit à évoquer l'atmosphère et le contexte qui cadraient ses souvenirs. Et je crois aussi qu'il est juste d'en faire part ici. Il disait lui même se sentir profondément nostalgique. Au temps où il fréquentait obligatoirement la communale, il lui arrivait de se livrer aux délices de la contemplation. Il était, en quelque sorte, déjà nostalgique par anticipation. Il construisait sa nostalgie future, établissant les minutieux repérages de ses souvenirs; des odeurs, des saveurs mentales, des lumières et des sonorités multiples. Le charme désuet de l'univers scolaire de cette période y concourait sans doute.
Rien ne semblait alors pouvoir se produire dans ce monde clos. L'instituteur régnait souvent en despote. Les moindres chuchotements, rictus ou tentatives de subversions par les grimaces étaient aussitôt réprimés avec poigne. Un esprit sain dans un corps sain. Et les corps des élèves semblaient bien manquer souvent de santé. Heureusement de jours les relations sont plus aseptisées. Les têtes ne sont plus frappées avec l'angle de règles métalliques, fini les génuflexions contraintes par la torsion d'une oreille, oubliées toutes ces affreuses punitions corporelles.
Mais cette discipline, ces menaces sans cesses présentes, contribuaient probablement à la monotonie de l'ambiance, procurant ces illusions de calme, de répétition et de lenteur. Sans doute. Isidore Pataquès se disait donc avoir été conforme à l'image des livres qui représentaient un élève studieux, soucieux de maîtriser les règles de la grammaire et les formules d'arithmétique, pendant que son esprit s'évadait, loin, dans des contrées semblables à celles des contes où planait quelque simurgh multicolore. Le simurgh qui relie les différentes dimensions de nos rêves, ceux que nous appelons songes et ceux que nous croyons réels. Mais n'était-ce justement pas à cet oiseau fabuleux que l'on devait, selon les anciens des anciens, l'invention de l'écriture? Bien sûr il était difficile de comprendre comment cela avait finalement conduit, au cours de l'âge d'acier, un certain sergent major à s'investir dans la fabrication de plumes métalliques.

vendredi 28 novembre 2008

13 - Une arme, des armes





Or, en ce temps là, âge prospère et commercial, aussi grand moment d'éradication de la vie sauvage dans les coins les plus préservés de la biosphère, période aussi appelée plus conventionnellement "guerre froide", les modes culturelles se métamorphosaient lentement. L'annonce de la possibilité, relativement récente alors, d'un big bang nucléaire, promesse de la fin de la vie sur terre, n’avait pas fini de mobiliser une grande partie des préoccupations des esprits, concernant le futur de l'humanité et de la planète.
La Crise de Cuba, en octobre 1962, permit de vivre un moment de tension unique, une promesse de désintégration totale de la vie en un instant lumière.
La relation entre l'histoire de Gérard Pinson, contée par Isidore, et des missiles de Cuba n'est possible peut-être que par association des aspects balistiques. Aspects dont la portée, à première vue sans retentissement, pourrait paraître insignifiante. Isidore ne trouvait pas ces rapprochements anecdotiques. Un jour d'école, il se trouvait, avec d'autres élèves dans une salle de classe au moment d'une récréation. Comme on peut s’en douter, cela était totalement prohibé. Dans cette classe, située au premier étage et où venait d’avoir lieu un de ces cours de dessin si propice au chahut, se trouvaient Isidore et d'autres potaches rebelles. L'un d'entre eux exhiba soudainement une sorte d’arme constituée d’un assemblage de plusieurs objets détournés et qui révélait à première vue les grandes ressources imaginatives et l'ingéniosité de son inventeur. Le petit vantard la fit admirer, prétendant en être l’auteur, pour en annoncer finalement l’efficacité et la précision certaines. Ce flingue avait été conçu pour une propulsion de projectiles de plomb plus efficace que les pistolets distribués dans le cadre légal du commerce. Isidore Pataquès fit la remarque d'usage : "Existe-elle cette arme qui fut crée pour ne jamais servir?".